Interview réalisée
en Avril 2003 par Exorde pour le site raphardcore.com
(l'interview sur leur site se trouve ici)
Exorde : Peux-tu te présenter
un peu, de quoi est constitué ton parcours et depuis combien de temps
es-tu impliqué dans le Rap et/ou la culture HipHop ?
Shaolin : Shaolin, je rappe depuis
fin 1994, MC au sein du Monaster dont la formation initiale était composée
des trois membres suivants : Da Wizz (MC anglophone) , DJ Flame et moi même.
Ensemble nous avons été conviés en 1998 à participer
à un ou deux morceaux d'un projet qui se nommait LPO et mis sur pied
par Rasko, concepteur musical, puis, comme nous nous sommes très bien
entendus aussi bien musicalement qu'humainement avec ce dernier, nous avons
finalement fait tout le EP ensemble, la compilation qui était donc
prévue s'est ainsi transformée en EP du Monaster.
Juste après la sortie du cd, Da Wizz est parti au Danemark et il a
depuis été complètement avalé par la religion.
J'ai donc continué plus ou moins en solo. J'ai principalement fait
une multitude d'apparitions en freestyle, avec des invités aussi divers
que variés, au cours de mon émission radio nommée Booyakaa
que j'ai animé entre 1995 et 2000.
En 1999, une connaissance radiophonique m'a proposé de participer à
un projet orienté trip hop : MIG. La démarche me paraissait
intéressante, enrichissante et j'ai donc accepté. Là
encore j'étais prévu sur deux morceaux mais notre entente parfaite
a fait que j'ai vampirisé le EP et que j'ai finalement posé
sur l'ensemble des titres. Le maxi est sorti et a remporté un beau
succès d'estime dans notre région qui nous a valu une proposition
de contrat de la part d'un sous label de Sony. J'avais mes études à
terminer, j'ai donc refusé la proposition et depuis, le groupe MIG
a connu l'essor en sortant d'abord un second EP puis récemment un album
de belle facture mais le rap a été complètement estompé
au profit de la voix de miel de la chanteuse avec qui j'avais fait un morceau
sur le premier EP : Djazzia, une nana très talentueuse. Je n'ai aucun
regret par rapport à cette histoire, je n'en garde que de très
bons souvenirs et qui plus est ça m'a permis d'affiner ma connaissance
du studio.
Par la suite, en 2000 j'ai sorti deux tapes : "90 min. 2 r'SP" ainsi
que "Chacun sa Bande" comportant pas mal d'inédits du Monaster
et de moi en solo ainsi que des introuvables en rap français.
Puis en 2001, s'est créé un collectif qui est par la suite devenu
la nouvelle mouture du Monaster et dont la version actuelle compte dans ses
rangs : Polow, concepteur musical, ingénieur sonore, homme à
tout faire, DJ Kreestyle, un très bon pote rencontré sur les
bancs de la fac et pour qui les platines sont le centre d'intérêt
principal et, dernier membre : moi même. Ensemble, nous avons sorti
"Scoop Scoop Project", une K7 pleine d'inédits avec quelques
invités qui faisaient alors partie de notre cercle amical (Lord Style
et Candid Child notamment).
Actuellement, nous travaillons sur une tape en deux volumes nommée
"A l'Instinct" qui sera composée à 100% d'inédits
de nous ainsi que d'invités divers plus ou moins déjà
connus et tous talentueux. Nous allons essayer de faire en sorte que ce projet
soit mieux promu que les précédents. Cette tape nous servira
de tremplin pour notre maxi 4 titres dont nous avons déjà un
morceau enregistré et qui est prévu pour....(rires) aucune idée...2004
sans doute. Voilà pour le parcours.
Exorde : En tant qu'ex-animateur d'émission radio à Grenoble (Radio Brume) tu as eu donc l'occasion de poser avec des invités de marque (cf : Rockin Squat, Oxmo, Fabe, Mafia Trece). Qu'est-ce que cela t'as apporté artistiquement et que penses-tu de l'évolution de ces artistes aujourd'hui ? Tu reposerais avec eux ?
Shaolin : Artistiquement, je ne suis
pas sûr que ça m'ait apporté grand chose, si ce n'est
peut-être une certaine crédibilité vis à vis des
gens qui ne me connaissaient pas et qui se sont peut-être dit en voyant
les featurings "ah ouais, ce mec a quand même posé avec
des tontons, va falloir écouter ce qu'il fait !".
Ca a aussi été intéressant de voir les changements d'attitude
entre les passages au micro pour interview et freestyles et les passages hors
antenne : certains jouent clairement des rôles dès qu'ils passent
au micro.
Je ne te le cache pas, aucun de mes freestyles avec les artistes que tu as
cité (et auxquels tu peux rajouter Pyro et Stomy à la bonne
époque) ne me satisfait sauf celui avec Fabe où là j'ai
clairement donné le meilleur de moi-même avec deux couplets que
j'trouve toujours très bons...d'ailleurs je crois qu'il a mal pris
le fait que j'sois au niveau face à lui...mais bon j'm'étendrais
pas trop là dessus. Quoiqu'il en soit, pour moi ses deux derniers albums
sont vraiment excellents et je ne peux que regretter sa décision d'arrêter
le rap.
Avec Squat, ça c'est pas trop mal passé mais son ego n'a pu
s'empêcher de planer haut, très haut. Cette rencontre avec ce
gars qui était pour moi quasiment une idole entre 1993 et 1997 m'a
beaucoup déçu...d'ailleurs son évolution n'a fait que
confirmer ce sentiment : Assassin ne m'intéresse plus, les lyrics de
Squat ont grave perdu en qualité de contenu, les sons flirtent avec
les tendances commerciales du rap us, le flow n'est plus au niveau. Pour moi
Assassin est mort avec Touche d'Espoir et je préfère, quand
je parle de ce groupe me concentrer sur tout ce qu'il(s) a(ont) fait avant
ce dernier opus raté.
Concernant Mafia Trece, la rencontre était cool mais assez brève
et pas vraiment enrichissante : ils étaient entre eux, professionnels,
ils sont venus et sont repartis très rapidement. J'avais beaucoup apprécié
leur premier LP mais le second était une infamie : on sentait qu'ils
voulaient toucher à tous les styles, y compris les plus putassiers
(d'ailleurs quand on voit ce que Yannick, ancien membre du groupe, a fini
par faire tout cela n'est pas très étonnant finalement), afin
de toucher un plus grand public. Résultats ils se sont plantés
en beauté et c'est tant mieux. Ceci dit, dernièrement je suis
tombé sur un morceau de Moovens qui était un sous-groupe de
l'entité Mafia Trece et j'ai trouvé le morceau plutôt
bon. Et puis ils ont quand même révélé Leeroy Kesiah
et Diams et ça ce n'est pas rien.
Oxmo, quant à lui m'a beaucoup plu : il est dans la vie comme dans
ses morceaux. Il a un discours solide, réfléchi, bien construit,
j'ai beaucoup aimé cette rencontre, et puis, petite anecdote, quand
je lui ai fait remarquer que le seul problème de "Opéra
Puccino" était l'absence des lyrics dans le livret il me les a
envoyé dans un somptueux packaging (le livret était présenté
comme une boîte à cigares) par la suite et ça ça
m'a vraiment touché. Son second album m'a pas mal déçu
: il a changé de direction en s'essayant à des phases de flow
dont il n'était pas coutumier. Mais avec du recul, j'apprécie
de plus en plus ce second opus même si dans mon coeur il est encore
bien loin d'Opéra Puccino qui reste pour moi un des deux ou trois meilleurs
albums de rap français. Mais dernièrement j'ai écouté
sa prestation sur la BO de Taxi 3 et j'ai vraiment kiffé de le retrouver
avec son style originel sur une Pucc' Fiction. J'attends donc avec impatience
son prochain LP.
Concernant Stomy, à l'époque où je l'ai rencontré,
il était encore pour moi la moitié la plus mortelle de ce groupe
mythique qu'est le Minister Amer, il n'avait pas encore sorti son premier
album solo. On n'a pas trop eu l'occasion de parler en dehors de l'interview
et de notre freestyle fait à l'arrache. Je pense que tu dois savoir
ce que je pense de son évolution : pour moi ça a été
dramatique de le voir faire le bouffon en solo. Et aujourd'hui, il est fini,
il est répertorié comme clown de service que l'on invite dans
les grandes occasions pour amuser la galerie. Tant pis, j'ai fait une croix
sur le Stomy actuel et je reste à tripper sur les deux LP du MA qui
me font toujours autant crier et jubiler comme le môme (ou presque)
que j'étais quand j'ai découvert ces deux merveilles !
Bref de toutes ces personnes que le hasard a placé sur ma route, les
seules avec qui j'aimerais sincèrement reposer sont Oxmo parce qu'il
est trop fort, trop carré, trop talentueux et puis aussi Fabe, là
ça ne serait pas pour le côté humain qui ne m'a pas vraiment
emballé mais uniquement parce qu'il avait un excellent niveau et je
l'ai toujours apprécié pour ça.
Exorde : On a l'impression que tu accordes énormément d'importance aux paroles et à la construction des rimes dans tes textes, est-ce primordial pour toi ?
Shaolin : Oui, c'est primordial, c'est
ma "marque de fabrique" : j'ai besoin d'écrire des textes
tortueux regorgeant de rimes, d'assonances et autres effets de style, afin
d'être satisfait d'un texte ; afin aussi de m'accorder une plus grande
liberté pour le flow car j'ai plus d'endroits dans mes vers pour rebondir,
pour accentuer, pour marquer des syncopes, etc.
Le plus important pour moi c'est que les gens comprennent que ce qui me tient
le plus à coeur dans l'écriture c'est d'accorder autant d'importance
au fond qu'à la forme et non pas de laisser apparaître un déséquilibre
entre ces deux faces de la même pièce. Alors il est sûr
qu'en opérant ainsi, j'ai conscience de ne pas avoir un flow aussi
technique que des mecs comme Ill ou Busta qui eux font des phases de flow
parfois hallucinantes car en général ils ne disent pas grand
chose (ce n'est que mon avis bien sûr) dans leurs morceaux (d'ailleurs
tu remarqueras que lorsqu'ils posent des morceaux un peu plus conscients qu'à
l'habitude, le flow se calme, devient plus simple afin d'accorder d'avantage
de place au texte). Je préfère ne pas camoufler une vacuité
lyricale par une surcharge de flow. C'est ainsi que je procède : j'essaie
d'attirer l'auditeur par la forme et de le retenir par le fond, tel est mon
mot d'ordre. Ma construction de rimes est héritée de pas mal
d'influences importantes pour moi : des mecs comme Lino, l'ancien crew Time
Bomb et d'autres pratiquent de belle manière ce style d'écriture,
et puis au niveau des MCs US aussi, leur manière de ne faire que des
rimes riches, voire très riches au niveau du nombre de syllabes communes
entre les vers, etc. tout ça, j'ai tenté de l'incorporer en
l'assimilant au fil du temps et en créant au fur et à mesure
mon propre style. Celui-ci est le fruit de plusieurs années de travail
mais je suis encore loin d'avoir atteint la maturité à ce niveau
là.
J'ai parfois du mal à me restreindre au niveau rimes, j'ai tendance
assez souvent à tenter d'en incorporer trop jusqu'à ce qu'aucun
mot du texte n'ait sa place au hasard mais que celle-ci soit déterminée
par la sonorité. Du coup, ça donne parfois naissance à
des couplets trop linéaires, sans respiration, sans temps mort. Par
exemple, mon flow sur le récent clash qui m'a opposé à
Maj Trafik est assez révélateur de ce défaut. Mais j'en
suis conscient et j'essaie d'accepter le fait que parfois, simplifier une
phrase quitte à en retirer une partie qui sonnait pourtant bien peut
embellir le morceau. J'espère que cette amélioration se ressentira
dans mes prochains morceaux.
Mais ce qui est sûr c'est que je ne suis pas prêt d'écrire
pour ne rien dire et juste pour le style, de même que je ne suis pas
non plus prêt à balancer des textes philosophiques compliqués,
ou des textes comme en délivrent parfois des mecs comme Akh, dans lesquels
la rime se fait pauvre, trop pauvre. Non j'emprunte définitivement
la voie du milieu. Je suis conscient que la majorité du public rap
a, lui, un penchant vers l'un ou l'autre, le fond ou la forme, et que par
mon chemin, je n'attire pas forcément l'attention de ces gens mais
ce n'est pas grave, je ne rappe pas pour la majorité, je préfère
plaire à peu de personnes mais que celles-ci soient vraiment intéressées
par mon travail plutôt que d'avoir une foultitude de groupies qui n'ont
jamais disséqué mes écrits. Rien ne me fait plus plaisir
que les personnes qui parfois, par mail ou en face à face, reviennent
sur un passage d'un de mes morceaux afin de m'en demander une explication
ou de me donner leur propre avis sur un thème que j'ai abordé.
C'est pour cela principalement que je rappe : pour ces quelques moments passés
à discuter de choses et d'autres. Chacun ne se construit pas seul,
on se construit avec les autres et le dialogue est le meilleur des maçons...et
j'pense que toi et moi, on sait bien que nous ne sommes guère mieux
que des bâtisses en ruine et que par conséquent il y a du pain
sur la planche (rires) !
Exorde : En parlant de ton clash contre Maj Trafyk justement, qui a été fait de manière assez "tendance", c'est à dire par morceaux interposés et avec des textes préparés à l'avance, ce qui nuit un peu à l'esprit d'une battle en bonne et due forme à mon goût. Accordes-tu de l'importance à l'art de l'improvisation et du clash improvisé ?
Shaolin : Bon alors d'abord je reviens
sur le commentaire du clash contre Maj : tu dis qu'on l'a fait façon
"à la mode" mais cette manière de procéder
par vrais morceaux interposés existe depuis quasiment toujours : c'est
par ce biais que des mecs comme KRS1 et MC Shan ou encore Kool Moe Dee et
LL Cool J ont réglé leurs différents à la fin
des années 80 alors la mode elle dure non ? !.
Il n'y a pas qu'une manière de mener une battle. Il y a plusieurs styles
de battle : celles dont tu parles en face à face en impro et celles
par morceaux interposés. Chacun de ses genres a ses avantages et ses
défauts : le premier (impro) c'est par définition du spontané
et parfois en spontané tu sors des trucs abracadabrant qui, en live,
déchirent. Mais c'est surtout sur l'énergie que tout va être
jugé. Dans le second style, tu prends le temps de préparer ton
truc avec donc des phases plus recherchées, mieux construites, une
plus grande profondeur dans le texte. Je n'ai pas vraiment de préférence
entre ces deux styles qui sont pour moi bien complémentaires : j'aime
autant écouter Supernat détruire en impro Juice que d'écouter
Nas ou Sheryo se défouler contre leurs adversaires dans de vrais morceaux.
Maintenant que ceci est clair, je réponds à ta question : pour
moi l'impro c'est quelque chose que j'adore. J'ai travaillé ça
suite à une rencontre exceptionnelle dans un parc de NY : en 1992 je
suis tombé sur Supernat' sans savoir qui il était et il m'a
retourné le cerveau avec sa manière si exceptionnelle d'improviser.
Par la suite, quand j'ai commencé à animer mon émission
de radio, il y avait souvent des freestyles et je recevais quasiment toujours
les mêmes groupes et ces derniers, d'émission en émission,
kiquaient toujours les mêmes textes. Ca me saoulait et je ne voulais
pas faire pareil en balançant constamment les mêmes trucs donc
j'ai travaillé l'impro. Aujourd'hui je ne travaille plus tout ça
: c'est devenu inné : quand je cuisine, quand je vais au taf, sous
la douche, en voiture, en vélo, partout je balance des impros et même
parfois sans m'en rendre compte : je croisent des gens qui me dévisagent
bizarrement dans la rue et quand je cherche à en comprendre la raison,
je m'aperçois que mes lèvres bougent toutes seules en proférant
des lyrics à profusion...c'est difficile à décrire mais
j'ai l'impression que je ne suis même plus à même de contrôler
ce phénomène (rires). J'adore l'impro, je considère qu'elle
permet de travailler et d'améliorer sa façon de poser de vrais
textes : en freestylant, on tombe parfois sur des pures phases de lyrics ou
de flow et hop on les note, on les enregistre afin de les incorporer dans
de futurs morceaux.
Donc oui j'accorde beaucoup d'importance à l'art d'improviser car en
improvisant, tu kiques ce que tu as en tête, tu ne peux pas faire le
mytho, ta vraie personnalité ressort au micro et ça c'est très
intéressant.
Par contre je déplore que l'impro soit si peu présente dans
le rap français. Très peu de rappeurs savent poser sans texte,
c'est pour ça que pour moi, peu de ces gens méritent vraiment
le statut de MC. Les quelques personnes qui me viennent en tête sont
Zoxea, Sheryo, Ill, Coup K de Kalash, Abuz, Busta (parfois) ...ce ne sont
pas les seuls mais ce sont pour moi les principaux, ça fait pas lourd
!
Par contre aux Etats Unis, il y a des monstres comme Supernat bien sûr
mais aussi Skillz, Common et beaucoup d'autres, ça fait plaisir d'entendre
des vrais freestyles : ce mot étant aujourd'hui usurpé ! L'impro
c'est vraiment un délire et en général c'est fait dans
un bon esprit et ça c'est puissant !
Exorde : Le Maxi LPO "Diaspora" est à ce jour ton travail le plus abouti. En rétrospective qu'aurais-tu fais différemment ?
Shaolin : Oui effectivement je partage
cette opinion : LPO est le truc dont je suis le plus fier parmi les différents
maxis et tapes que j'ai faits. Je pense que c'est dû à l'osmose
totale à l'époque entre Da Wizz, Rasko et moi même. Je
passais beaucoup de temps chez le premier et souvent une heure par jour au
téléphone avec le second. On était bien ensemble, on
kiffait ! Dommage que les impératifs de chacun aient brisé cette
union qui restera comme un des meilleurs souvenirs de mon existence je pense
! Ca a duré un an et c'était vraiment très intense. D'ailleurs
je pense que mon titre "Climat d'amertume" écrit suite à
leur départ reflète bien ma déception de voir ce cercle
se désagréger sans pouvoir rien y faire.
Ceci dit, LPO est une sacrée aventure qui a connu des grands bouleversements
: au début, quand on est rentré en studio, Rasko ne disposait
que d'un expandeur pour faire ses sons. C'était pas terrible. On a
ainsi enregistré "Peut-être qu'un jour" et "Il
était une fois la dévolution". Puis, au fil des enregistrements
on s'est très bien entendu avec le gars du studio dans lequel on était
et à un moment il nous a proposé de nous lâcher son sampler
s950 pour pas cher. Rasko a investi dedans puis il a pris du temps pour bien
en comprendre le fonctionnement, il a également acquis un Atari et
Cubase. Là ça a été une mini révolution
pour nous. Les instrus de Rasko ont pris de l'ampleur, du poids. Il nous a
donc proposé de retravailler les sons déjà enregistrés.
On en était heureux. Puis, plus le temps passait et plus il gagnait
en maîtrise du sampler et du coup les sons qui sont nés après
: "Le Monaster", "On s'répand" et surtout "Look
Around U" étaient largement meilleurs. D'ailleurs vers la fin,
Da Wizz et Rasko voulaient retirer du maxi les deux premiers titres enregistrés
les trouvant de moins bonne qualité que les nouveaux. J'ai insisté
pour qu'ils restent dessus car après tout on y avait consacré
du temps et j'ai eu gain de cause. Voilà, maintenant que j'viens de
t'expliquer le contexte, je peux répondre à ta question (j'ai
d'ailleurs l'impression de te raconter un roman à chaque question (rires)
! !) : avec du recul, même si j'aime beaucoup LPO j'aurais des trucs
à refaire :
* déjà l'impro que l'on a faite sur un beat box fait maison
à l'arrache quand il nous restait 15 minutes de studio et qu'on voulait
pas perdre ce temps. Je crois que c'est une des pires impro qu'on ait jamais
faites....dommage, j'aurais aimé la refaire afin de montrer nos vrais
skillz en ce domaine !
* il y a aussi le titre "Peut-être qu'un jour", avec le temps
j'aimais de moins en moins mon texte, je le trouvais trop léger et
bancal...d'ailleurs je l'ai réécrit deux fois ce texte (c'est
te dire si la première version me plaisait encore moins ! !) et puis
c'est vrai que l'instru de ce titre est vraiment très moyenne. Mais
bon j'ai été surpris de constater que certaines personnes avaient
bien accroché sur ce morceau. Mais j'aurais préféré
qu'on le remplace par un meilleur titre (mais nous n'avions plus le temps).
* Et puis concernant le titre "Il était une fois la dévolution",
bien que beaucoup de gens aient adoré ce titre (apparemment c'est le
titre qui a le plus emballé les gens...ce qui est bizarre car pour
moi "Look Around U" est nettement meilleur) moi j'aurais aimé
poser ce texte (dont je suis très fier) sur un son qui frappe beaucoup
plus. Là c'est vrai qu'il y a mon pote Olivah qui a posé au
sax' sur ce morceau mais je le trouve pas assez rentre-dedans.
* Enfin, je pense que si c'était à refaire, j'essaierais de
faire d'avantage de promo et de déposer le maxi un peu partout car
je pense qu'avec notre flemme et notre peu d'engouement à faire la
promo, on n'a pas pu toucher tous les gens qui étaient susceptibles
d'être intéressés par ce maxi. J'ai des regrets par rapport
à ça. On a sorti 1000 exemplaires et on a fait les loques, on
s'est pas bougé le cul pour les vendre tous afin de récupérer
la mise initiale qui aurait peut-être pu servir dans un projet ultérieur.
Sans compter les plans compiles (bien que nous ayons quand même eu la
possibilité de participer à une compile caritative visant à
aider à la révision du procès de Mumia mais qui n'a finalement
jamais vu le jour) et tapes qu'on aurait pu décrocher et qui nous aurait
éviter d'être à court de plans pendant un bon moment (en
fait jusqu'au maxi MIG l'année d'après !)
Exorde : Je comprends que l'affaire Mumia Abu Jamal te tienne particulièrement à cœur.
Shaolin : Oui effectivement. Son cas
illustre bien les mensonges de nos soi-disant démocraties qu'Alpha
Blondy qualifie à juste titre de médiocraties : alors que chaque
citoyen est censé disposer de la liberté d'expression (surtout
aux states avec le premier amendement de leur constitution) dans la plupart
de ces pays, pour pas dire tous, il existe des prisonniers politiques, c'est
à dire des hommes qui ont été jetés en prison
pour leurs idées. Mumia en fait partie, c'était (et c'est toujours)
un journaliste, poète, activiste au sein des Black Panthers et la CIA
a construit une mascarade pour le foutre en taule afin de l'empêcher
de véhiculer ses idées. Il a donc eu un procès totalement
faussé avec des faux témoignages, des fausses preuves de sa
culpabilité, des vraies preuves de son innocence qui ont été
occultées, etc. Son cas est bien représentatif de l'hypocrisie
des grandes puissances. Et les prisonniers politiques on en trouve aussi en
France bien évidemment. Aux états unis, Mumia est devenu célèbre
du fait que la communauté noire a bien compris qu'on voulait faire
de lui un bouc émissaire, ça fait bientôt 20 ans si je
ne m'abuse qu'il croupit derrière les barreaux et pourtant il garde
le moral, il continue de mener sa lutte, son action passe avant sa personne,
je trouve ça remarquable et je suis admiratif devant des mecs comme
ça. Qui plus est, Mumia est noir et là encore son cas est révélateur
: le racisme a des proportions inquiétantes aux states et cela jusqu'au
plus haut de la hiérarchie : rappelons quand même qu'à
l'époque où est tombé Mumia et quelques années
avant, la CIA et son patron Hoover avait décidé de démanteler
les partis militants tels que les Black Panthers et les mouvements des natifs
américains (bref des indiens) : Hoover a décidé d'importer
des tonnes de cocaïne d'Amérique Centrale pour les déverser
dans les milieux qu'il souhaitait réduire à l'état d'organisme
amorphe. Ainsi, les leaders noirs ont tous sombré un par un (certains
autres qui ont échappés à ce fléau ont carrément
été zigouiller par les escadrons de la mort (des flics payés
pour faire taire par tous les moyens nécessaires les leaders des mouvements
des minorités)). Et ils ont réussis leur coup : les indiens
ne représentent plus une menace maintenant qu'ils sont dans des prisons
dont les barreaux sont alcool, drogue, chômage. Les mouvements afro
américains ont perdu de leur force.
Voilà tout ce qui se cache derrière le cas de Mumia (on pourrait
également citer Leonard Pelletier qui est dans la même situation).
C'est affligeant et symptomatique de la société d'aujourd'hui
qui te laisse parler tant que tu ne lui nuis pas et que tu n'es rien mais
si tes propos prennent de l'importance alors là tu te fais rembarrer.
Il n'y a d'ailleurs qu'à voir l'affaire du procès d'artistes
comme NTM jadis et La Rumeur aujourd'hui qui étaient ou sont poursuivi
pour avoir tenus des propos jugés diffamatoires envers l'Etat pour
se rendre compte que ce système est toujours en place et que sa technique
qui consiste à écraser toute velléité contestataire
existe toujours.
Quoi qu'il en soit j'espère ardemment une révision du procès
de Mumia afin qu'il échappe à la peine capitale. Le jour où
les pays n'auront plus de prisonniers politiques sera le jour où le
monde sera devenu ce qu'il prétend être.
Exorde : Peux-tu nous parler un peu du projet concernant cette affaire auquel tu as participé ? Pourquoi n'a t'il jamais vu le jour ?
Shaolin : Ce projet était un
truc ambitieux monté par Camorra Rouge qui écrivait à
l'époque (1999) dans le cadre du magazine RER et qui était également
à l'initiative du fanzine The Truth.
Nous lui avions envoyé notre maxi LPO afin qu'il l'écoute et
qu'il en fasse éventuellement la chronique s'il était intéressé.
Il a été emballé par le EP et il a écrit deux
très bonnes chroniques super positives pour les magazines que je viens
de citer. C'est ce qui l'a amené par la suite à nous proposer
de participer à cette fameuse compilation regroupant des grosses pointures
du rap français telles que Iam, Assassin, Fabe, Faf LaRage, etc...
Le but de cette compilation était de rassembler des fonds afin d'aider
les associations luttant pour la révision du procès de Mumia
: ça aurait permis de les aider à payer les avocats, etc. Malheureusement
le projet a capoté pour des raisons pécuniaires : certains artistes
ont commencé à exiger d'être rémunérés
pour leur participation (y compris des groupes qu'on pourrait croire au contraire
tout à fait prêt à lâcher un morceau gratos pour
la bonne cause). Nous, nous avions fait notre morceau, nous avons payés
nous mêmes le studio où l'on a enregistré. Nous étions
super motivés car, drôle de coïncidence, juste à
l'époque où Yann (Camorra Rouge) nous a proposé le projet,
j'étais en train d'écrire un morceau sur les Black Panthers.
J'avais réuni pas mal d'infos et j'voulais faire un morceau vraiment
fat. Du coup, quand il a fallu écrire un titre pour cette compilation,
j'avais déjà beaucoup du taf de fait. Qui plus est, la double
perspective de poser un morceau sur une compile d'une telle envergure et sur
un sujet aussi passionnant qu'important c'était quelque chose de fort.
Aujourd'hui, le morceau est toujours dans notre coffre : on le garde pour
le mettre en bonus track de notre futur maxi car malgré le temps, je
trouve qu'il n'a pas pris une ride et je pense sincèrement que ce morceau
représente la quintessence de ce que j'ai pu écrire jusqu'à
présent : tous les gens qui l'ont écouté (et tu en fais
parti je crois eheh) ont kiffé. J'espère qu'à notre petite
échelle ce genre d'action contribuera à sa libération
un jour ou l'autre. Notre morceau s'appelle "Dans l'espoir que l'écho
de nos voix fasse tomber les murs", ça résume bien ce que
je viens de dire. Certes une action artistique ça n'est peut-être
pas grand chose, mais si ça peut entraîner d'éventuelles
prises de conscience de la part de gens susceptibles par la suite de prendre
le relais par l'action, ça reste positif et important.
Exorde
: Dans
un esprit tout aussi revendicateur et conscient, il y a aussi le morceau "Il
Etait Une Fois La Dévolution", dans lequel tu dénonces
pas mal de choses comme la prostitution de mineurs, la mondialisation etc.
Le Rap est aujourd'hui beaucoup moins politisé et engagé, cela
te dérange ?
Shaolin : A dire vrai, dans mes morceaux,
je n'ai pas l'impression ni l'intention de dénoncer quoi que ce soit
: je me considère un peu comme un journaliste : mes morceaux conscients
sont des reportages, j'essaie de ne pas forcément donner mon opinion
ou alors de la nuancer (par exemple dans "Il Etait une Fois La Dévolution",
lorsque j'aborde les enfants vendus par leur parents à des macros qui
vont par la suite les prostituer dans la capitale au Sri Lanka, je précise
que "La critique est facile quand le confort est offert") : c'est
trop facile pour nous de juger vu notre situation plutôt privilégiée.
Moi j'expose ce que je vois, ce que je vis, ce que mes proches vivent et me
racontent et ensuite, c'est à chacun de se faire sa propre opinion
sur ces sujets s'il est tenté d'y réfléchir.
Ensuite, je ne pense pas faire du rap engagé ou militant. J'estime
simplement faire du rap conscient...conscient du monde dans lequel je vis.
La musique sert à beaucoup de choses : aussi bien à nous évader
du quotidien qu'au contraire à nous y ramener. Pour moi le rap conscient
appartient à cette seconde catégorie. Ceci dit, je ne suis pas
toujours dans ce genre de vibes et il m'arrive aussi de pondre des égotrips
et autres morceaux avec un contenu moins important, mais je m'atèle
à ne jamais dire de conneries, à ne jamais vanter ce que je
trouve stupide et futile. C'est pour ça que tu ne m'entendras jamais
faire de la pub pour des voitures de luxe ou autres trucs sans intérêt.
Pour revenir à ta question, effectivement, de plus en plus d'artistes
ne disent plus grand chose dans leurs écrits. Ils me rappellent souvent
une phase de Koma : "on ne peut parler que de soi lorsqu'on ne connaît
rien de la vie !". Je crois que c'est exactement ça : trop d'MC
sont nombrilistes et pensent que leur quotidien mérite d'être
raconté à tout le monde à longueur de journée
alors qu'au fond la plupart des amateurs de rap s'en foutent ! C'est pour
ça que ça fait du bien de tomber sur des LPs comme celui de
la Rumeur, de Rocé ou d'autres plus anciens comme l'Homicide Volontaire
par exemple : on prend plaisir à réfléchir une fois un
morceau passé dans sa chaîne au contenu de ce dernier. Le rap
c'est un peu comme le cinoche : certains vont avoir envie de pas se prendre
la tête et de passer un bon moment et vont aller voir un truc genre
Taxi et d'autres vont plutôt privilégier un film moins accessible
qui va les faire cogiter comme Solaris par exemple. Et on sait bien que le
public pour Taxi sera plus nombreux que celui pour Solaris car dès
que ça requiert un peu de dépense de matière grise y
a tout de suite une perte d'audience. Ceci explique que beaucoup de rappeurs
se contentent de travailler la forme et d'écrire des textes qui ne
serviront que d'accompagnement au flow, de points d'ancrage : ainsi leur public
pourra être potentiellement plus important. Moi ce n'est pas ma tasse
de thé, je ne planifie pas de vivre de la musique et du coup je fais
ce que j'ai envie de faire : le rap pour moi ça a été
une thérapie, ça m'a permis de m'ouvrir au monde. Et puis j'avais
toujours l'impression que personne ne pensait la même chose que moi
ou n'était concerné par les mêmes thèmes et du
coup j'ai eu envie d'écrire des textes sur ce que j'avais envie d'entendre.
Alors est ce que ça me dérange ce manque de conscience dans
le rap ? D'une part non parce que comme ça ça me donne de la
matière lorsque j'ai à écrire des textes anti-wacks (rires)
mais d'autre part oui bien sûr que ça m'dérange : comment
faire en sorte que notre culture, notre musique soit prise au sérieux
et considérée lorsque ses seuls acteurs accédant au devant
de la scène nous délivrent des textes à la vacuité
abyssale ? C'est aussi à cause de cette dérive que parfois j'arrête
d'écouter ce qui sort pour me replonger vers des albums plus anciens
qui contenaient plus de rage, plus de messages : un bon "Ghetto Bird"
ou un "It Was A Good Day" d'Ice Cube me font dix fois plus kiffer
avec des images si bien décrites du ghetto américain que des
morceaux style ce que fait Busta Flex ou une fois qu'on a passé le
cap de l'enjaillement sur le flow, une fois qu'on a épluché
le fruit, on constate que le contenu est sans intérêt et que
le style ne suffit pas à nous redonner l'envie d'écouter encore
et encore l'artiste.
La plupart des groupes persistent à faire du rap mouchoir que tu vas
kiffer une semaine car le flow va te retourner le cerveau puis que tu vas
classer sans suite plutôt que du rap plus difficile d'approche, qui
nécessite d'étudier les textes sous différents angles
afin de mesurer l'ampleur et la beauté du travail que ça recèle
! ! Mais bon je sais qu'il existe encore un public, certes restreint mais
très connaisseur, de cette seconde catégorie de rap. Et je fais
partie de celui-ci. Et c'est donc plutôt pour ces gens là que
je fais mon truc, en espérant qu'il kiffent ou que s'ils n'aiment pas,
que ça permettent quand même d'en discuter, de donner naissance
à des débats, dialogues, échaffaudement de théories,
etc. enrichissants.
Exorde : Qui sont ces "wacks" ? Considères-tu qu'il y a aujourd'hui beaucoup d'arrivistes dans l'industrie du disque ? Que penses-tu du mouvement HipHop actuel en France ?
Shaolin : Ah les wacks, sacrée
tribu non ? ! ! Ben écoute, moi sous ce terme peu flatteur je rassemble
deux catégories d'individus :
* d'une part, les pires : ceux qui ne rappent que pour dire des conneries,
les mecs qui vont passer leur temps à gâcher leur salive pour
glorifier tout ce qui est futile : sape, vêtements, alcools, drogues,
relations sans lendemain avec celles qu'ils appellent "tasspé"
ou "bitches" ou autre, etc. Tous ceux là me gonflent et même
si certains d'entre eux ont un bon niveau en matière de flow, je ne
peux pas écouter leurs trucs trop longtemps. Ceci dit, il y a des rappeurs
que beaucoup placeraient dans cette catégorie et qui pour moi ont quand
même quelque chose en plus qui fait qu'à mes yeux ce ne sont
pas des wacks (exemple : Booba ou certains membres talentueux de la Mafia
K1fry).
* d'autre part, je placerais au rang de wacks ceux qui simplement ne savent
pas rapper, n'ont pas de flow, n'ont pas de technique, n'ont pas de construction
de rimes, de fond intéressant ! Ainsi, figurent dans cette catégorie
pas mal de monde y compris des gens qui humainement sont vraiment biens. C'est
juste par rapport à mon avis (complètement subjectif par essence)
sur leur manière de rapper que je classe ceux-là parmi les wacks.
En général, je me montre plus virulent avec les rappeurs de
la première catégorie, mais il est vrai que parfois je ne peux
m'empêcher d'égratigner les autres aussi.
Me demander s'il y a beaucoup d'arrivistes à mes yeux dans l'industrie
du disque ça ne me parait pas très intéressant : je n'apprendrais
rien à personne en répondant par l'affirmative. L'arrivisme
vient avec le pouvoir et l'argent. L'industrie du disque permettant aux (heureux
? !) élus de faire de l'argent facilement et légalement, il
est normal que beaucoup de parasites s'incrustent dans l'histoire. Mais ce
genre d'impuretés part dès la première douche froide.
Beaucoup se font des illusions et se ramassent la gueule. Et puis au fond,
les arrivistes, à moins d'être dotés d'une bonne dose
d'intelligence, n'arrivent pas à cacher leur volonté première
au public alors du coup, ce ne sont pas ceux qui se forgent un clans de "fans"
qui les soutiendront dans la durée. Les arrivistes peuvent tout au
mieux tenter de tromper les plus jeunes, le public ado. C'est pas forcément
gratifiant : les ados sont grand consommateurs de musique Kleenex alors leurs
goûts du moment varient très rapidement et les groupes qui courtisent
ce genre d'audience passent rapidement à la trappe. Bref je crois que
l'arrivisme ne paie pas : ou alors si mais pendant une courte période
et après ce sont les abymes de l'oubli qui engloutissent les stars
d'hier.
En ce qui concerne le mouvement Hip Hop actuel en France, je ne suis pas sûr
d'être à même de pouvoir le juger : peut-être en
ce qui concerne le rap qui est la discipline que je connais le mieux (et de
loin). Pour moi Hip Hop ça ne signifie plus grand chose, l'état
d'esprit Peace, Unity Love and Having Fun ça m'fait un peu marré
car la naïveté de ce genre de leitmotiv m'apparaît comme
trop flagrant. C'était vrai avant, lorsque la vie était peut-être
plus facile, lorsque les soirées se déroulaient dans une ambiance
festive. Mais de nos jours comme dirait Booba on a plus droit qu'à
"des regards froids, y a plus d'yeux doux". Les concerts (en tout
cas ceux auxquels j'ai assisté) se passent dans une atmosphère
tendue où l'on ne prend plus de plaisir. Ceci dit ce n'est que mon
opinion forgée sur mon vécu mais apparemment il subsiste encore
parfois des concerts sympa qui se déroule dans un climat beaucoup plus
sain alors peut-être que ma vision de tout ça est trop sombre.
En ce qui concerne les autres disciplines, je pense que le graff et la danse
ont bien conservé leur racine, mais bon là encore on retrouve
parfois des accrochages entre aficionados de la même culture qui dégénèrent
parfois (surtout dans le graff avec le côté dépouille).
Le DJing a obtenu sa part de marché et désormais les DJ se divisent
clairement en plusieurs catégories : ceux qui animent des soirées
parce qu'ils kiffent ça, ceux qui le font pour les sous (en alignant
aussi leur nom sur des compiles péraves) et ceux qui voient dans le
djing principalement le côté technique, ceux-là ne sont
pas friands de soirée, ils bossent chez eux leurs skillz et ne rêvent
que des championnats en essayant de reproduire les phases qu'ils dissèquent
sur les vidéos. Ca leur donne un profil bien différent suivant
la catégorie dans laquelle ils se trouvent et chacun n'a pas du tout
la même façon de vivre le hip hop.
Je pense que de toute façon, l'argent s'infiltre de partout : dans
le rap c'est une certitude mais aussi dans les autres disciplines : certains
graffeurs font des toiles afin de vivre de leur art, certains danseurs intègrent
des groupes de danse extérieures au hip hop afin de pouvoir là
aussi en vivre. Bref l'argent fait s'effriter le bâtiment. Je ne suis
plus sûr que l'on puisse encore parler de Hip Hop. Je n'emploie d'ailleurs
plus que rarement ce terme car j'ai peur de l'usurper à chaque fois.....oui
je sais j'suis sombre dans mes propos non ? ! Mais bon tout le monde sera
d'accord pour dire que c'est plus ce que c'était !
Exorde : Tu évoques également beaucoup le tarissement de la planète, la décadence de la nature... Est-ce un sujet que tu trouves important d'aborder, penses-tu justement qu'il n'est pas assez abordé par les divers artistes (Rap ou autres genres musicaux...) ?
Shaolin : Oui effectivement, la préservation
de notre environnement est pour moi essentielle. En détruisant la nature,
l'Homme se condamne lui même à la disparition. Ce qui est grave
c'est que nous sommes égoïstes : nous ne pensons qu'à nous,
qu'à notre génération. Nous nous foutons de polluer parce
que nous nous disons que nous ne serons plus de ce monde lorsque les effets
désastreux de nos abus d'aujourd'hui se feront vraiment sentir (déjà
qu'on en perçoit des signes alarmants à l'heure actuelle...).
Nous agissons comme si nous étions au centre de l'univers et que nous
avions en charge le contrôle de tout. Nous nous prenons pour Dieu. J'ai
horreur de ce nombrilisme. Pour moi, nous ne sommes qu'une espèce parmi
tant d'autres et nous ne sommes voués qu'à vivre sur cette planète
pendant quelques dizaines de millions d'années au bout desquelles nous
disparaîtront, bref au regard de l'âge de la Terre et encore plus
de celui de notre Univers, nous ne somme rien. Du moins je l'espère...
J'ai quand même peur que notre soif effrénée de pouvoir
ne nous ait placés dans la délicate position dans laquelle nous
sommes : nos actions vis à vis de la planète (déforestation
massive, pollution à grande échelle des fleuves, des rivières,
des océans, etc.) ont peut-être un impact sur le devenir de la
planète. La seule chose que je me demande et qui m'apparaît comme
fondamentale est la suivante : "ce que nous faisons, le faisons nous
parce que tel est le rôle que nous a attribué la Nature, ou alors
avons nous outrepassé ce rôle et sommes nous devenu nuisible
à l'environnement". Evidemment je ne pense pas que l'on puise
répondre à cette question et dans le doute je penche plutôt,
malheureusement pour la seconde proposition. Du coup j'flippe pour le devenir
de l'Homme et de tout ce qu'il touche...
Enfin bref oui la Nature est ce que nous avons de plus cher et je m'atèle
chaque jour à tenter de ne pas lui nuire. Et j'essaie à mon
humble échelle de faire transiter ce message par le biais de certains
de mes morceaux en espérant que ça puisse toucher quelques personnes,
j'ai conscience que ce n'est pas grand chose mais au moins c'est déjà
ça.
Dans le rap, mis à part quelques rares exceptions, je trouve effectivement
que ce thème de la nature n'est pas assez traité. D'ailleurs
je me souviens d'une interview du rappeur français Yazid dans un vieux
fanzine de rap qui s'appelait Down With This au cours de laquelle, à
la question "Que penses-tu du nouveau LP d'Assassin "Le Futur Que
Nous Réseve-t-il ?"" il avait répondu un truc qui
ressemblait à ça "Assassin ils s'écartent du rap,
le rap c'est pas fait pour parler des forêts qui crament, des océans
qu'on assèche, le rap c'est fait pour parler de notre quotidien, des
quartiers, etc.". Il m'avait bien mis les nerfs quand j'avais lu ça.
Ca prouve bien que beaucoup de rappeurs n'ont pas de vision à long
terme et ne se sentent pas concernés par ce genre de problème
alors qu'ils devraient l'être. Ca surprend de constater qu'en milieu
urbain, milieu "d'habitat" de prédilection pour le rap, la
question de l'environnement ne touche qu'une minorité de gens alors
que pourtant dans ce même milieu on peut ressentir les méfaits
de la pollution par effet de serre et autres genres de trucs. Ca craint je
trouve. Il faudrait éduquer les gosses à l'école pour
les responsabiliser sur ces problèmes à mon avis. Mais je désespère
quand je vois que les Etats-Unis qui sont les plus gros pollueurs de la planète
se foutent de l'opinion internationale et continuent de nous asphyxier pour
de simples raisons économiques. L'argent pourrit les gens et pourrit
le reste aussi. Les lobbys industriels sont beaucoup trop puissants pour espérer
que les états se risquent à aller à leur encontre en
adoptant des mesures écologiques. Je pense que seule l'opinion publique,
si elle se manifeste largement en faveur de la prise de nouvelles résolutions,
pourra faire pencher la balance. Et c'est pour cela que j'admire les actions
menées par certains organismes tels Greenpeace ou WWF pour tenter de
catalyser la prise de conscience.
Exorde : Te sens-tu proche de la culture/religion bouddhiste, ou tu utilises son univers simplement pour le gimick ? Car tu laisses transparaître un mépris assez ouvert envers les diverses religions, qu'est-ce que cette culture apporte de plus que les autres pour toi ?
Shaolin : Il y a pas mal de choses
dans ta question. Je vais tenter de répondre à tout ça.
Alors pour commencer, je ne considère pas le bouddhisme comme une religion
mais plutôt comme une philosophie. Je lis beaucoup à son sujet
car j'y retrouve des choses auxquelles je crois et qui m'inspirent pour gagner
en sagesse. J'aime l'idée que l'on vit pour devenir quelqu'un de sage,
de bien, j'aime à penser que tout ce qu'on fait en bien (respectivement
en mal) influera sur notre futur d'une façon positive (respectivement
négative), ça permet de se motiver à être bon dès
à présent.
Dans le bouddhisme, on trouve deux voies différentes : l'une s'appelle
le petit véhicule et on pourrait résumer cela à "Si
tu ne peux faire le bien d'autrui, évites en tout cas de faire le mal",
c'est la voie la plus accessible et c'est celle sur laquelle j'essaie d'être.
L'autre s'appelle le grand véhicule et prône de vivre uniquement
en se consacrant à apporter le bien à autrui. Seules les personnes
d'une grande sagesse sont à même d'appliquer cette "doctrine",
je n'en suis pas là. Qui plus est le bouddhisme me paraît beaucoup
plus sain que les vraies religions car ces dernières affirment détenir
la vérité et visent au prosélytisme afin de rassembler
de plus en plus de gens sous leurs couleurs. Le bouddhisme est beaucoup plus
humble : il soumet des idées, son interprétation du monde, de
l'univers, de la vie et ensuite il laisse le choix à chacun de se forger
sa propre opinion sur tout ça, de prendre ce qui lui convient et de
laisser le reste. Je préfère cette approche qui me paraît
beaucoup plus spirituelle.
C'est de mon attirance vers le bouddhisme que je tire mon pseudo : les moines
Shaolin sont des moines chinois bouddhiste qui essaient de cultiver autant
leurs corps que leur esprit, autant le fond que la forme, métaphoriquement
ça me correspond par rapport à ce que j'essaie de faire dans
le rap.
En ce qui concerne mon "mépris", pour reprendre tes mots,
des religions, je ne suis pas sûr que ce terme soit approprié
mais il est vrai que bien que je ne réfute pas l'existence d'un pouvoir
supérieur et céleste, je suis intimement persuadé que
les religions n'existent que pour diviser les gens et permettre à une
minorité de régner plus aisément. Pour moi les religions
ne sont ni plus ni moins que des sectes à grande échelle. Ceci
dit, je suis conscient que tout ce qu'elles prônent n'est pas mauvais
: en général elles incitent à l'enrichissement culturel
et spirituel. Mais je ne peux m'empêcher de considérer qu'elles
entretiennent également certaines formes d'ostracismes (il n'y a qu'à
voir la réaction de familles musulmane ou chrétiennes lorsque
leur fille leur ramène un païen à la maison....c'est un
crime de lèse majesté : il faut rester entre individus de même
confession ! ! ...ça me fait gerber de pareilles idées) Qui
plus est, je l'admets volontiers, mon opinion sur les religions, avec le temps,
a tendance à se radicaliser car dans ma vie privée je dois désormais
faire avec, je n'entrerai pas dans les détails. Et du coup quand on
vit ça de l'intérieur on voit beaucoup plus de choses et on
les supporte assez mal. Et puis, il faut aussi dire que le fait que Da Wizz
qui était comme un frère pour moi se soit fait happer par l'église
ça m'a foutu les boules et encore aujourd'hui, 5 ans après son
départ, la plaie est toujours ouverte.
Pour ce qui est de la dernière partie de ta question : qu'est ce que
le bouddhisme m'apporte de plus que les (autres) religions, je pourrais juste
te dire que je fais partie de ces gens qui n'aiment pas se voir dicter ce
qu'ils ont à faire. Ceci explique que je ne peux me résoudre
à faire partie des moutons qui vont appliquer les directives d'un livre
soi-disant sacré afin de diriger leur vie. Moi j'aime à me construire
seul mais en piochant à droite à gauche ce qui me parait intéressant,
enrichissant pour mon développement personnel. Et c'est ce que je trouve
dans les écrits bouddhistes comme ailleurs d'ailleurs ! ! Et puis je
ne suis pas bouddhiste : tu ne me verras jamais me balader toute la journée
avec mon moulin à prières en psalmodiant des mantras, ce n'est
pas mon truc. Donc je procède comme je pense que devrait le faire tout
le monde : avant d'assimiler quoi que ce soit, je me pose les questions "pourquoi
le ferais-je ? Est-ce bénéfique pour moi ?" et si la réponse
me paraît valable alors je le fais. C'est simple et je pense que c'est
intelligent. Mais bon chacun sa façon de voir les choses à ce
niveau là....je ne suis pas un prophète ou un modèle,
j'ai ma façon de voir les choses, je l'expose au travers de mes textes
et si ça peut provoquer des débats, des discussions, des nouvelles
prises de positions, etc. j'ai atteins mon but !
Exorde : Tu as un site internet (http://olinsha.free.fr) assez complet, accordes-tu beaucoup d'importance à ce média ?
Shaolin : Effectivement, je me suis
rapidement rendu compte au fil de tous les projets auxquels j'ai participé
d'une manière active que lorsqu'était venu le temps de la promo,
de faire les déplacements pour mettre les skeuds en dépôt-vente
un peu de partout, d'envoyer le cd ou la tape aux médias genre fanzine,
radio, etc., de relancer les gens afin d'être sûr qu'ils aient
écouté le truc, que moi comme ceux qui m'entouraient nous étions
simplement très mauvais à ce jeu là ! On se donnait à
fond dans ce qu'on aimait : l'écriture, la composition des instrus,
le studio, mais dès que les morceaux étaient mis sur le support
et qu'il fallait qu'on s'lance dans la promo on perdait toute envie de le
faire.
J'ai donc eu envie de faire revivre mes anciens morceaux, de leur accorder
une seconde chance pour se répandre d'avantage au sein du milieu rap
afin de pouvoir éventuellement recevoir d'avantage d'opinions, de critiques
et de propositions de projets (qui me sont nécessaires pour survivre
artistiquement car sans projet, je perds la motivation pour l'écriture
n'ayant pas envie de "gâcher" du texte qui finira aux oubliettes).
Et puis, qui plus est ça m'a permis de me faire la main sur la mise
en place d'un site web avec des anim' Flash et ce genre de trucs. J'étais
au RMI à l'époque et je n'avais rien d'autre à faire
donc ça m'a occupé un bon moment (rires).
Mon site est une fresque qui résume bien mon évolution, mon
travail artistique et qui m'assure d'être pris au sérieux quand
je parle de rap, de MCing car les gens à qui je m'adresse sont à
même de constater que j'ai un passé rapologique assez fourni.
Je suis heureux de constater que tout le monde à tout moment peut récupérer
mes morceaux gratuitement....c'est mortel Internet comme média ! Et
puis ça prouve aussi que tout le monde ne rappe pas simplement pour
l'aspect lucratif que ça revêt généralement : certains
comme moi continuent de le faire par passion sans espérer en vivre.
Qui plus est, ça m'a aussi permis de rencontrer des gens qui se sont
déclarés intéressés par ce que je faisais et qui
eux mêmes voulaient que j'écoute leurs trucs. J'ai ainsi fait
la connaissance de certains bons voire très bons rappeurs comme Lyntikfa,
Dafrek, Eastoar, Réel Carter et d'autres et des collaborations sont
nées ou vont naître de ces rencontres. Bref je m'enrichis artistiquement
et même humainement. Et puis, de soumettre mon travail à un grand
nombre de personnes m'a permis de recevoir d'avantage de point de vue sur
ma démarche, mes morceaux, le fond, la forme et je pense que mon style
est en train de muter par rapport à tout ça.
Bref Internet me plait beaucoup et c'est le média qui me correspond
le mieux à l'heure actuelle. Ceci dit, je suis conscient que plein
de monde n'arpente que rarement la toile, les forums, etc. et du coup se restreindre
à Internet c'est se fermer des portes derrière lesquelles il
est possible de trouver des nouvelles franges d'un public plus riche, plus
cosmopolite qui me permettrait d'élargir encore d'avantage mon panel
d'opinions, de réactions sur mes morceaux. C'est pour ça que
je n'ai pas envie de n'exister que sur Internet et ça explique que
chacun de mes projets, avant d'arriver sur mon site, vit un bon moment uniquement
sur son support physique (tape, cd, voire, je l'espère, vinyl !), pour
moi, le concret est primordial et c'est seulement une fois que mes morceaux
ont fait leur bout de chemin dans la vie réelle qu'ils se retrouvent
à naviguer sur l'océan webistique. Donc, pour ceux qui comme
moi accordent de l'importance au support, ils sont servis en premier ce qui
est normal. Et une fois ceux-là servis, par le biais de mon site on
sert les autres, ceux pour qui le support importe peu ou alors simplement
ceux qui sont moyennement intéressés par ce que je fais et qui
n'ont pas envie d'investir plus que quelques minutes de download pour disposer
de mes morceaux. De toute façon, je ne vise pas à ce qu'un maximum
de gens achète ce que je fais mais qu'un maximum de gens écoute
mes morceaux, c'est ça pour moi l'important. Après, qu'ils aiment
ou n'aiment pas c'est pas un problème et c'en est même enrichissant
à partir du moment où ils prennent le temps d'argumenter leur
opinion.
Exorde : Penses-tu qu'Internet peut être une bonne alternative, pour un artiste qui aimerait se faire entendre et bosser sans contrainte mais qui n'a pas forcément les moyens d'entamer une carrière en indépendant ?
Shaolin : Ben c'est non seulement une bonne alternative mais à mon avis c'est même la seule ! ! Simplement Internet s'adresse aux mecs qui n'ont pas pour but de vivre du rap mais plutôt de faire connaître leurs travaux à un grand nombre. Qui plus est au niveau du coût que tout cela demande c'est quasi nul : un pc, une connexion Internet, deux trois heures pour apprendre à se servir de l'ensemble et hop c'est parti, tu peux mettre en ligne tes morceaux. C'est mortel ! ! Et puis, par la suite, il faut quand même assurer un minimum de promo sur le web afin d'attirer les gens à downloader tes morceaux. Donc oui c'est une voie beaucoup plus rapide pour faire parler de soi. Mais bien évident toute médaille à son revers et malheureusement, lorsqu'on se lance dans ce genre de démarche on se fait vite catégoriser sous l'étiquette "Internet MCs" ce qui est loin d'être flatteur. Moi d'ailleurs je pense qu'il doit y avoir pas mal de personnes qui m'ont collé cette étiquette. C'est pour ça que je trouve important de continuer à faire des tapes, des clashs contre des MCs plus reconnus et ayant échappé au statut de web mcs, voilà pourquoi j'ai trouvé ça intéressant de clasher Maj Trafyk car même lui dans son truc m'a pris de haut en pensant que mon existence rapologique se limitait à quelques forums sur le net, il est tombé de haut et lorsqu'il a perdu il a avoué qu'il s'est fait prendre par surprise et qu'il ne s'attendait pas à un tel niveau en face (sourire). Donc comme je l'ai dit dans ma précédente réponse : le net c'est bien mais il est dangereux de se limiter à ça.
Exorde : Qu'est-ce qui te motive à participer à un projet ? Acceptes- tu les invitations sur des street-tape et compil facilement ?
Shaolin : Les projets, je l'ai dit
précédemment, sont un moteur pour moi : sans projet je n'ai
pas l'envie d'écrire car je n'aime pas lâcher de l'encre "pour
rien". J'estime que si j'passe du temps à écrire un titre,
et j'en passe beaucoup... Ce n'est pas pour le laisser au placard mais pour
que des gens l'écoutent. Voilà pourquoi entre les maxis, je
mets toujours sur pied des projets comme la tape "A l'Instinct"
sur laquelle on travaille actuellement et j'ai déjà en tête
les deux prochains gros travaux d'ouvrage qui vont succéder...bref
je suis booké jusqu'en 2004 voire 2005 (rires).
En ce qui concerne les invitations, j'ai trop tendance à dire oui à
tout le monde. Or je suis assez lent et du coup à certaines périodes
comme en ce moment par exemple je me retrouve complètement à
l'Ouest, débordé. Mais bon je commence à refuser des
trucs sachant que je n'aurais pas le temps de m'y consacrer... ça fait
un peu chier par rapport aux gens qui m'invitent et qui se trouvent déçus
parfois de mon désistement. Surtout que certains croient que c'est
dû à une dilatation du périmètre crânien
donc ça craint ! ! Mais j'espère que ce n'est que partie remise.
Et puis, il faut bien dire que beaucoup de gens montent des projets tape mais
finalement, les morceaux meurent car soit la tape ne sort pas soit elle sort
à 15 exemplaires. Ce genre de plans, j'essaie de les éviter
car ça me fait perdre du temps plutôt qu'autre chose. Mais les
tapes et les compiles, beaucoup moins nombreuses malheureusement sont un bon
outil de promo et de prise de contacts avec des DJs, des graphistes, des MCs.
Donc au final c'est positif il en ressort des rencontres intéressantes
et fructueuses.
Exorde : Peux-tu nous parler davantage de ton futur projet tape : "A l'Instinct" ? Y a t'il un letmotiv, quels invités, etc ?
Shaolin : Alors au départ,
avec mes deux acolytes Polow et Kreestyle nous venions de terminer la précédente
tape ("Scoop Scoop") et ça faisait quelques mois qu'on ne
travaillait plus sur un truc bien concret, chacun faisait ses biz de son côté.
J'ai donc décidé de mettre sur pied une tape un peu dans le
même esprit que les précédentes, à savoir avec
quelques nouveaux morceaux de moi, quelques titres coups de coeur d'artistes
que je kiffe et des titres rares que j'ai dans ma besace. Ceci dit, "rare"
c'est de moins en moins vrai maintenant avec Internet : on trouve tous les
morceaux si on cherche bien...mais il me reste quand même quelques bonnes
bastos introuvables, Kree m'a dit qu'il était partant pour mixer le
truc. Et puis au fil du temps, j'ai commencé à avoir pas mal
de morceaux sous le coude, j'ai aussi fait connaissance de quelques rappeurs
intéressants que j'avais envie de mettre au tracklisting. Ducoup,on
a finalement décidé de changer de concept et de sortir une tape
100% inédite. Qui plus est, on va en sortir deux volumes : J'suis un
gémeau...ceci doit sans doute expliquer en partie que j'aime bien que
les choses aillent par deux (sourire) ! Sur cette tape il y aura une bonne
quinzaine de nouveaux morceaux du Monaster : Moi au mic sur la plupart avec
parfois des guests, Kree aux scratchs sur certains morceaux et Polow pour
certaines prods, ce qui est nouveau car on n'avait pas encore exploité
les sons de Polow jusqu'à présent mais maintenant ça
y est et ça ça fait plaisir !. Le reste des titres (une vingtaine
à peu près) c'est des featurings qui me tiennent à coeur
: Réel Carter, Rachid Wallas, Lyntikfa : lui n'est pas vraiment reconnu
pour le moment mais j'aime beaucoup ce qu'il fait ; ont déjà
posé à l'heure actuelle, j'ai également eu la chance
de poser avec M-Print du groupe Dead Beats proche des Living Legends, c'est
un MC ricain vraiment bon avec qui j'ai partagé le micro et des bonnes
vibes, et puis y a aussi K-Tharsis qui m'a remixé deux titres que j'aime
beaucoup, j'attends aussi Dafrek et Fitzroy, ce dernier a posé un titre
sur un sampler de Groove dernièrement, il y a également 20Syl
qui m'avait promis une prod mais vu qu'il est pas mal accaparé par
l'enregistrement du nouvel opus d'Hocus Pocus je ne suis pas certain que ça
se fasse, j'espère quand même que la rencontre artistique se
fera un jour. Y a aussi Maj Trafyk qui est invité contre son gré
pour notre clash (sourire) Et peut-être quelques autres encore mais
rien de sûr.
Donc voilà au final on aura entre 35 et 40 morceaux répartis
en deux volumes. C'est du gros boulot mais on s'éclate bien à
le faire ! A priori nous avons décidé de sortir le tout en cd
plutôt qu'en K7 car les lecteurs de ce support ont tendance à
disparaître des foyers donc voilà il faut suivre l'évolution.
Pour la date de sortie du premier volume, je n'en sais rien encore...pour
pas dire de bêtise je tablerais sur une fourchette s'étalant
de Juin à Septembre. On a déjà 25 morceaux dans la boîte
mais je préfère d'avoir fini la totalité des enregistrements
avant d'établir un tracklisting de chaque volume car les deux volumes
sortiront à peu près en même temps.
Exorde : Quels autres artistes aurais-tu aimé inviter au projet ? (MC's, Dj's, musiciens)
Shaolin : Je suis déjà
bien content du contenu actuel de la tape et des connexions que j'ai faites
avec les guests présents, c'est une très bonne chose. J'espère
à mon humble échelle participer à leur mise en lumière
car pour moi ils sont forts et vraiment différents les uns des autres.
Ca montre la richesse du rap. Il est vrai que si certaines pointures avaient
montré le bout de leur nez sur notre tape j'aurais kiffé : des
mecs comme 20Syl ou Kohndo que j'ai contacté pour poser un morceau....malheureusement
faute de temps et peut-être aussi de volonté : ne me connaissant
pas et pouvant douter légitimement qu'A l'Instinct voit vraiment le
jour et à plus de 30 exemplaires (rires), ils n'y seront pas. Un mec
comme L'1ndis (du groupe Les 10') aussi mais il ne rappe plus. Et puis y a
aussi beaucoup d'autres pointures. Je pourrais t'en citer des tas.
Mais c'est à double tranchant d'aligner trop de gros featurings : ensuite
les artistes qui t'ont fait confiance vont te demander implicitement de faire
une assez grosse promo pour ton truc afin que celui-ci s'écoule à
pas mal d'exemplaires, seulement alors ils kifferont de t'avoir filé
un morceau car ça participera à leur promo. Moi même je
vois comment je réagis à mon humble échelle si j'pose
sur une tape qui sort à 15 exemplaires, j'ai l'impression comme je
te le disais tout à l'heure de perdre mon temps donc pour ces mecs
là qui sont bien côtés, c'est sûr que leur présence
ça met la pression et qu'ils l'auront mauvaise si tu ne mets pas les
moyens dans un projet pour lequel ils ont accepter de s'investir.
Donc ouais finalement le tracklisting et les invités actuels me suffisent
amplement car pour moi ils ont le talent d'artistes plus renommés et
ils n'ont pas pris à la légère le projet et ça
c'est le principal.
Si par la suite on arrive à écouler et surtout à s'faire
écouter suffisamment pour se constituer un public susceptible de nous
suivre pour les prochains projets alors on pourra penser à voir plus
gros et on aura aussi plus d'arguments convaincants à fournir aux poids
lourds (sourires), Chaque chose en son temps. Le but c'est de se faire plaisir
avant tout, pas de faire un truc qui va cartonner donc on recherche pas forcément
à réunir un casting prestigieux. Nous marchons avec les gens
qui sont dans le même état d'esprit que nous afin de partager
des choses, il ne faut pas que la relation soit unilatéral et uniquement
basée sur un morceau : le morceau quelque part c'est presque comme
une excuse pour parler avec l'artiste, débattre, etc., après
on s'trouve des affinités et ça peut dériver sur pleins
de trucs, c'est pas juste : "vas y fais nous un morceau, on s'rappelle,
merci, ciao".
Et puis comme le disaient les Sages Po', avant de courir on continue de parfaire
notre marche alors on s'entoure de gens qui font pareil !
Exorde : Quelque chose à ajouter ?
Shaolin : Non j'crois pas. Ce que
je veux que les gens connaissent de moi ce sont surtout mes morceaux donc
voilà, ils sont à dispo sur mon site. Si des curieux lisent
cette interview et souhaitent écouter ce que je/nous fais/faisons,
je les encourage à y aller. Je tiens à te remercier aussi pour
m'avoir proposé cet entretien, ça fait toujours plaisir de parler
de ce qu'on fait et aime faire par dessus tout.
Et puis j'adresse un gros respect aux personnes qui ont croisé ma route
ou qui l'a croiseront un jour. Les rencontres enrichissent alors j'espère
en faire encore de nombreuses. Et puis ensemble faisons en sorte qu'il puisse
y avoir une alternative dans notre musique au courant le plus mis en avant
à l'heure actuelle afin que les gens comprennent que notre culture
est beaucoup plus riches que ce que les morceaux qui tournent en boucle sur
les ondes le laissent croire.
Bon ben finalement on dirait que j'ai quand même rajouté
quelque chose (sourire) J'suis bavard comme Philippe de la Rumeur moi
(rires).